Le grand-père des Indes

Nous retrouvons désormais Isaac-Jacques sous la dénomination La Ronce de Colombel. Lorsqu’Isaac-Jacques arrive aux Indes en 1754 sur la cote de Coromandel, la situation est favorable aux français ; Dupleix, le gouverneur des Indes, qui a su se faire des alliés locaux, a mené une politique de conquête qui fait que la France tient une position dominante en Inde, au grand dam des anglais.

Cette politique de conquête n’est pas du goût de la compagnie des indes; Dupleix a privilégié la position de la France aux Indes et s’est opposé en cela à la compagnie qui estimait inutile et onéreuse cette politique; il était à la fois admiré des Indiens (il avait reçu le titre de nabab) et des anglais qui le redoutaient et ne savaient plus comment le contenir; bien qu’ayant à sa disposition peu de moyens militaires, Dupleix s’était appuyé sur les locaux et avait formé des armées de cipayes (soldats indiens servant dans une armée occidentale) très efficaces.

Cependant, Dupleix s’était fait des ennemis en interne, des administrateurs ainsi que le gouverneur des Mascareignes, La Bourdonnais, qui le jalouse. C’est sur la base de rapports erronés réalisés par ses ennemis que la compagnie décide de le révoquer. Dupleix reçoit chaleureusement Charles Godeheu, qui fut autrefois sous ses ordres à Chandernagor ; mais c’est de manière brutale que Godeheu lui apprit sa destitution et rompit tout dialogue avec Dupleix jusqu’à son départ en Octobre 1754. La destitution de Dupleix, qui avait fondé un empire aux Indes, fit la joie des anglais qui s’empressèrent dans les semaines qui suivent de signer avec Godeheu le traité de Sadras le 26 Décembre dans lequel les deux compagnies (anglaise et française) s’engagèrent à restituer leurs conquêtes, c’est-à-dire quasiment rien pour les anglais, et un empire pour les français; Marchault, le secrétaire d’état à la marine à l’origine de la disgrâce de Dupleix, héritera du titre du plus bête des ministres de Louis XV. La guerre de sept ans paracheva la défaite des français et offrit un empire aux anglais, l’empire qu’avait constitué Dupleix quelques années auparavant. Isaac-Jacques, arrivé le 04/08/1754 avec la flotte Godeheu, va vivre cette atmosphère de fin de règne; après quelques mois passés à Pondichéry, Bussy, l’adjoint de Dupleix qui était resté, le nomma au comptoir de Karikal (140 km au sud de Pondichéry) ou il fait fonction de major et commandant des troupes.

En 1738, les français négocient avec le raja Sahuij de Tanjore et acquièrent Karikal. Ils achèteront ensuite des villages environnant par le biais de prêts accordés à Sahuij et à son successeur Pratap Singh. C’est probablement pendant cette période (1754-1757) qu’Isaac-Jacques fut le plus heureux et qu’il se prit de passion pour l’Inde; à Karikal, conformément aux instructions de Bussy, il se lie aux seigneurs locaux et forma une troupe de cipayes. Le 16 Mars 1757, il achète un terrain à Karikal, rue des Juifs, et fait construire une maison.

Lors du départ de Dupleix, son adjoint, Bussy, qui avait une bonne connaissance de l’Inde et de ses habitants, semblait s’imposer pour prendre le commandement militaire; mais décidemment, Marchault, ministre de la marine, méritait bien son titre de ministre le plus bête de Louis XV; il nomma à sa place le lieutenant général Lally-Tollendal, un soldat d’origine irlandaise expérimenté, avec un passé glorieux, en particulier à la bataille de Fontenoy (Guerre de succession d’Autriche) ou son régiment s’illustra au sein de la brigade irlandaise; Lally déteste les anglais mais ne connait rien au monde indien, est peu diplomate. Sa principale erreur fut de ne pas s’appuyer sur les cipayes en lesquels il n’a aucune confiance; Lally arrive début 1758, soit 3 ans et demi après Isaac-Jacques, avec un renfort de 3.500 hommes; dès son arrivée, il combat les anglais et connait plusieurs succès initiaux dont la prise du Fort Saint David ou Isaac-Jacques s’illustra et fut blessé.

Mais dès 1759, la situation s’assombrit ; Lally, bon militaire mais piètre diplomate, refuse toute alliance avec les nababs (ce qui avait fait le succès de Dupleix), refuse d’employer les cipayes, se brouille avec Bussy ainsi qu’avec les administrateurs de la compagnie. Les anglais reprennent le terrain perdu en 1758 et, profitant du départ de l’escadre de Pondichéry (Lally s’est aussi brouillé avec le chef d’escadre d’Aché) viennent assiéger Pondichéry le 4 Septembre 1760. Le siège dura 4 mois; il opposait un millier de Français aux 15.000 hommes de l’armée anglaise dont 10.000 cipayes; la défense fut héroïque mais au bout d’une terrible famine, Lally, malade et atteint d’une forte fièvre, se rendit aux anglais le 15 Janvier 1761. Peu de temps avant le début du siège, Isaac-Jacques, qui venait d’être nommé commandant de la place forte de Thiagar prise aux anglais quelques temps auparavant, arriva en renfort à Pondichéry avec ses cipayes et un convoi de 2.000 bœufs pour alimenter la ville en prévision du siège qui semblait inéluctable; le convoi ne put rentrer dans Pondichéry suite à un désaccord entre Lally et le chef des cipayes; nous retrouverons cet épisode plus tard. La ville de Pondichéry fut totalement rasée par les anglais (ces derniers savaient que l’accord de la guerre de sept ans rendrait la ville aux Français); Lord Pigot évacua la ville de tous ses habitants et fit sauter à la poudre tous les bâtiments, églises, palais, établissements publics, maisons particulières.

Isaac-Jacques rentra comme prisonnier en Angleterre ; il fut échangé et débarqua à St Malo le 09 Septembre 1762. Il retourna à La Ronce ou il revit son père et ses frères et chercha très vite à repartir aux Indes.